Acheter sans s’étrangler
Vous projetez d’acheter votre logement ? Alors calculez bien votre budget pour éviter de rejoindre la cohorte des 188 000 Français surendettés
«C’est inquiétant... Je vois beaucoup de gens qui achètent trop grand et trop cher par rapport à leurs ressources. J’ai beau leur recommander la prudence, ils ne m’écoutent pas», déplore Eric Dewisme, directeur de l’agence Bastimo dans le Marais à Paris. Il n’est pas le seul. Dans toutes les villes, on le constate: les Français, appréhendant l’avenir, sont prêts à s’endetter lourdement pour acquérir leur résidence principale. Or dans leurs calculs de prêts, les banques n’intègrent pas l’ensemble des coûts induits par l’achat d’un logement, et le taux d’effort réel s’avère excessif pour de nombreux ménages dont la qualité de vie risque de pâtir gravement de frais fixes mal calculés – sans compter les conséquences dramatiques d’une perte d’emploi. Quand on devient propriétaire, on doit ouvrir le portefeuille plus souvent qu’on ne croit, et pendant longtemps. Attention donc à ne pas vous lancer sans avoir fait vos comptes au plus juste, sans oublier ni sous-estimer aucun poste de dépense.
Intégrez les frais de dossier et d’assurance
«Quand mon propriétaire m’a annoncé qu’il souhaitait vendre son appartement, j’ai tout de suite pensé l’acheter, car je suis installé ici depuis trois ans et je m’y plais énormément, raconte David, jeune acquéreur d’un studio aux Batignolles à Paris. Le prix de 100 000 euros me semblait raisonnable, et j’ai décidé de prendre rendez-vous avec mon banquier. Mais en en parlant avec une amie, j’ai découvert que tout n’était pas si simple et que je ne devais pas me fonder seulement sur le montant de la mensualité qu’il allait me proposer.» Pour minimiser les frais accessoires, il faut d’abord traquer les prêts qui sont consentis sans frais de dossier, comme le prêt à taux zéro, le prêt Paris Logement, les prêts d’épargne-logement. Au moins 500 euros d’économisés. Pour les prêts bancaires classiques, ne pas hésiter à négocier les frais de dossier, qui peuvent atteindre 1% du montant emprunté. Car ils entrent dans le taux effectif global et pèsent lourd sur le coût du crédit.
Parce qu’elle représente un faible pourcentage, on ne prête pas suffisamment d’attention à l’assurance. Et pourtant, un écart entre 0,32% (taux moyen proposé par les établissements prêteurs) et 0,18% (taux négocié) peut représenter un surcoût mensuel de 16 euros pour 100 000 euros empruntés, soit près de 200 euros de plus par an.
Négociez âprement
Ce n’est pas parce que l’offre de logements est largement inférieure à la demande qu’il faut acheter les yeux fermés et accepter sans broncher le prix proposé. Même s’il est peu enclin à le faire, le propriétaire doit savoir accepter une négociation avec l’acquéreur qui ne manquera pas de mettre en avant les défauts du logement: exposition nord, travaux à prévoir, etc. Si le vendeur campe sur ses positions, mieux vaut passer sa route, car tous les agents immobiliers le constatent aujourd’hui: les propriétaires surévaluent leur bien d’au moins 10 %. Attention également au proprio peu scrupuleux qui tente de faire participer l’acquéreur aux états obligatoires du logement: métrage loi Carrez pour les appartements, constat plomb, amiante, termites. Ces états sont à la charge exclusive du vendeur et l’acquéreur ne doit pas accepter d’en payer le moindre centime.
Autre point souvent négligé et que certains agents immobiliers et notaires omettent de signaler: la valeur de la cuisine équipée, qui n’est pas un bien immobilier, ne doit pas supporter les droits de mutation. Elle doit donc être retirée du prix global pour le calcul des droits. «Quand j’ai acheté ma maison, j’ai craqué pour la cuisine qu’avait fait installer le vendeur. Il est vrai qu’il avait investi plus de 22000 euros. Factures à l’appui, j’ai économisé plus de 1500 euros de frais», explique Nathalie, propriétaire à La Rochelle.
Ajustez la durée
On recherche toujours ce qu’il y a de mieux: une chambre pour chaque enfant, une commune de bonne réputation scolaire et bien desservie, un logement spacieux. Mais faut-il pour autant tout y sacrifier et dépasser largement le tiers du budget consacré au logement, cette fameuse ligne rouge au-delà de laquelle financer le quotidien devient très risqué? A 2774 euros de moyenne en France, chaque m2 d’espace coûte cher et pour longtemps. Sans oublier les autres crédits (voiture, consommation, etc.) qui continuent de courir. Et ne comptez pas sur le banquier pour vous alerter, aucun fichier ne centralise l’ensemble des crédits d’une famille. Il ne connaît donc pas forcément vos engagements vis-à-vis d’autres organismes de prêt.
Il est tentant d’emprunter sur la durée la plus courte possible pour obtenir le coût total le moins élevé. Mais attention, les mensualités sont alors plus lourdes et peuvent aboutir à un budget très tendu, où la moindre mauvaise surprise (chaudière à remplacer, voiture accidentée) met l’équilibre en péril. Ainsi, David a préféré emprunter 100 000 euros sur vingt-cinq ans au lieu de vingt. Même si le taux effectif du crédit passe de 3,59% à 3,79%, et si le coût global augmente de plus de 15 000 euros, cela lui permet de ramener sa mensualité de 588 à 519 euros. «En économisant 69 euros par mois, je vais pouvoir remplacer mon scooter, dont j’ai besoin pour aller travailler. De plus, mon immeuble est ancien et je sais qu’il va falloir faire d’importants travaux dans les trois années à venir.»
Pensez aux nouvelles dépenses
Les impôts locaux
Devenir propriétaire implique d’acquitter la taxe foncière en plus de la taxe d’habitation. Lors de l’acquisition, il faut rembourser au vendeur la quote-part de la taxe foncière correspondant à la période qui va de la date d’achat à la fin de l’année. Ensuite, il faut l’acquitter tous les ans. Et les tarifs varient du simple au triple selon les communes, la date de construction de l’immeuble et son standing. «Quittant Paris où les taxes sont peu élevées, j’ai eu la mauvaise surprise de devoir payer 816 euros pour mon nouvel appartement de 88 m2 à Meaux (77). Et pourtant l’immeuble est très ancien et ne comporte aucun élément de standing particulier, s’étonne Elisabeth. Comme les deux taxes tombent à l’automne, je vais devoir opter pour le paiement mensuel, ce que je n’avais pas prévu.»
Les charges de copropriété
Autre nouvelle contrainte: les charges de copropriété qui, elles aussi, varient beaucoup d’un immeuble à un autre. Avant l’acquisition, il faut exiger de voir les provisions trimestrielles de charge et les décisions prises à la dernière assemblée générale et savoir à qui il incombera d’en assumer les conséquences financières. Les charges exigibles avant la vente sont à la charge du vendeur; après, à celle de l’acquéreur. Si de grosses dépenses sont en vue (ravalement, réfection de la cage d’escalier, installation d’un ascenseur...), l’acquéreur doit en tenir compte dans son budget, car le syndic exigera des appels de fonds, en plus du versement trimestriel des charges courantes. «Je payais 740 euros par trimestre pour mon 65 m2 dans le 18e à Paris, explique Elisabeth. Et pourtant, c’était un immeuble ancien sans gardien, sans
jardin et sans grande allure. De plus, nous étions de nombreux copropriétaires. A Meaux, je retombe sur un budget plus raisonnable de 200 euros par trimestre.»
Estimez le montant des travaux
«C’est le budget que les acquéreurs ont le plus de mal à maîtriser; il atteint souvent près du double de leur estimation», affirme Christophe Cremer, directeur de Meilleurtaux.com. Car l’acquisition dans l’ancien, appartement ou maison, réserve souvent de mauvaises surprises qui ne se règlent pas par un simple coup de pinceau. Ayant déjà réuni toutes leurs économies disponibles pour l’acquisition, les frais de notaire (7% en moyenne), le coûteux déménagement, les acquéreurs sont souvent contraints de recourir à un emprunt complémentaire d’au moins 5 000 euros. Cela ne pose pas trop de problème s’ils ont été raisonnables dans leur endettement principal, en n’excédant pas 25% de taux d’effort. Mais s’ils sont déjà endettés au maximum, à moins de recourir à l’aide familiale, beaucoup seront tentés d’opter pour un crédit revolving, extrêmement cher, et qui conduit tout droit à la spirale de l’endettement. Alors prudence: la rénovation d’une maison revient au bas mot à 1 000 euros le m2; compter le double s’il faut intervenir sur l’installation électrique ou la plomberie.
Dominique en sait quelque chose. Ayant acquis une vieille briarde en vue de la rénover, elle avait estimé les travaux (hors décoration) à 30 000 euros. Une fois dans les lieux, elle découvre un problème imprévu: l’alimentation générale de la maison en eau est insuffisante. Il faut tout reprendre, dans le sol, à partir du compteur. Autre souci: le conduit de cheminée est délabré et nécessite un tubage complet. Coût: 4 000 euros supplémentaires. Et pas question de différer les travaux: c’est la sécurité et la vie quotidienne qui sont en jeu. «Alors, la nouvelle cuisine attendra. Et le vieux bac à
douche a encore quelques années de service devant lui…»
N’oubliez pas les frais de transport
Compte tenu des prix exorbitants des centres-villes (aucune agglomération n’y échappe), les acquéreurs sont contraints à l’éloignement, ce qui n’est pas sans conséquence sur de nombreux postes du budget, à commencer par le coût du transport de tous les membres de la famille. L’envolée des prix des carburants (+20% pour le super et +32% pour le gazole entre janvier 2004 et fin juin 2005), conjuguée à une distance moyenne d’environ 60 km aller et retour, pèse très lourd dans les comptes du ménage. Georges, artisan plombier, a déménagé dans la Marne où sa femme a été mutée. Un an après, il dresse le bilan: «Comme j’ai conservé ma clientèle en banlieue parisienne, non seulement je dois ajouter deux heures de transport à ma journée de travail, mais j’ai 150 euros de plus par mois de frais de déplacement, sans compter l’usure accélérée de mon Partner. Un surcoût que je ne peux pas répercuter dans mes factures car je ne serais plus compétitif.» Beaucoup d’acheteurs croient faire une bonne affaire en choisissant de s’éloigner du centre-ville; au bout du compte, une fois payés les abonnements aux transports publics ou l’augmentation de la facture de téléphone, l’économie réalisée est souvent bien mince (voir l’encadré page précédente).
Alors, faut-il pour autant renoncer à acheter? Sûrement pas, car être propriétaire de sa résidence principale est le meilleur placement en vue de la retraite. Encore faut-il pouvoir tenir ses engagements. Et savoir ne pas céder à l’euphorie.
Dominique de Noronha
Dominique de Noronha
Le coût de l’éloignement
Lui est commercial. Elle est vendeuse dans une boutique à Lyon. Ils ont deux enfants, Nicolas, 12 ans, et Léa, 2 ans. A l’été 2003, Jean et Michèle décident d’acheter. Ils ont le choix entre un T4 à Lyon (249 500 €) et un à Saint-Priest (178 000 €). Va pour Saint-Priest. En choisissant l’éloignement, ils pensent faire des économies. Tout bien calculé, avec un emprunt à taux fixe de 3,9% sur vingt ans, leurs mensualités se montent à 1 180 €, soit un coût financier de 105116€. Pour le T4 de Lyon, les mensualités étaient de 1654 € et le coût total de 147340 €. En choisissant l’éloignement, Jean et Michèle ont donc réalisé un gain de pouvoir d’achat de 474 € par mois. Et une économie totale de 42224€. Bonne affaire.
Dépenses supplémentaires induites par l’installation de Jean et Michèle à Saint-Priest (Coût mensuel )
Nouvelle voiture pour Michèle (crédit automobile 15 000 € sur 5 ans) : 280 €
Contrat de maintenance auto : 50 €
Gas-oil : 120 €
Abonnement mensuel au parking à l’entrée de Lyon : 60 €
Abonnement de Michèle métro-tram TCL parking-travail : 45 €
Jean (voiture de fonction) : 0 €
Frais de garde de Léa (1 h supplémentaire par jour) : 120 €
Abonnement de Nicolas, élève en 6e métro tram Pass Junior : 14 €
Total mensuel : 689 €
Total sur les 5 ans à venir : 41 340 €
Conclusion : aucun gain d’argent, un bien qui prendra moins de valeur à Saint-Priestqu’à Lyon et du temps perdu en transports.
Quelle mensualité maximale pouvez-vous rembourser?
Vous vous apprêtez à payer sur une très longue durée. Alors faites vos comptes. La mensualité maximale supportable est égale à: R – (C+N). C’est-à-dire revenus nets, moins les charges et dépenses habituelles et les nouvelles dépenses liées à l’achat.
Voici l’exemple du budget d’une famille de deux enfants de 12 et 15 ans qui devient propriétaire.
Dépenses supplémentaires (Coût mensuel)
Salaires nets mensuels (monsieur et madame) : 4 580 €
Charges familiales fixes
Impôt sur le revenu (3 parts) : 295 €
Assurance-logement (coût moyen) : 25 €
Abonnement téléphone fixe : 15 €
Connexion internet (prix moyen) : 30 €
4 forfaits 2 h de portable (prix moyens) : 112 €
Coût de la vie (nourriture, eau,
chauffage, électricité, habillement, déplacements, vacances et loisirs) : 2 600 €
Nouvelles dépenses liées au statut de propriétaire
Taxe foncière (en moyenne) 50 €
Charges de copropriété (immeuble ancien hors Paris, prix moyen) : 100 €
Net disponible (hors mensualité de crédit) : 1 353 €
Pour continuer de vivre en toute sécurité et alimenter une épargne régulière, veillez à ce que vos mensualités n’excèdent pas 1 100 €. Ne vous emballez pas, vous empruntez sur vingt ans au moins! Et tant pis si ce calcul n’est pas celui qu’a établi le banquier, toujours prompt à inciter au maximum de financement.
AAMOI nr. 707
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