les fissures, c'est comme les reoprtages sur les francs maçons, ça revient réglièrement mais ça ne change rien au monde !
La preuve
Certains soirs, dans les rues de nos petites villes de province, on peut voir des individus insolites qui pressent le pas. Ils sont vêtus d'un costume sombre et portent un attaché-case. Parfois, un noeud-papillon vient mettre une note de fantaisie dans l'assure austère de ces personnages furtifs et affairés.
Le pharmacien, le boucher et la mercière sont d'accord pour penser que, nonobstant cette tenue, il est impossible qu'ils se rendent à des obsèques car il est trop tard. Ni à une nuit de galanterie car il est trop tôt.
Mais alors, où vont-ils donc?
A noter que ces ténébreux quidams arrivent toujours en avance à leur mystérieux rendez-vous. Aussi, en attendant l'heure propice, ils se réunissent au "Café-Restaurant de l'Auvergnat" où les rejoignent d'autres quidams pareillement vêtus de sombre avec attaché-case et noeud-papillon.
Ce ne sont alors qu'embrassades chaleureuses, longues étreintes, baisers sonores, chuchotements complices, satisfaction ostentatoire ... Tout ça avec des regards qui en disent long ... Bizarre ....
Derrière son comptoir, l'Auvergnat, mine de rien, observe et écoute tout en essuyant ses verres. Voilà des mois qu'il a des doutes ... qui sont-ils réellement ces personnages énigmatiques qui viennent chez lui parler de la pluie et du beau temps? De la pluie, surtout. Pour eux, il pleut souvent et leur salle est toujours humide, même quand le soleil brille. C'est à croire qu'ils parlent à mots couverts pour ne pas se mouiller !
Ils tentent - pourquoi ? - de se faire passer pour une famille nombreuse avec des : "Mon frère" par ci, des "Mon très cher frère" par là. Mais pas la moindre ressemblance entre eux ! Et puis, existe-t-il des familles de cette dimension, et composées uniquement de garçons ?
Autre bizarrerie: ils parlent souvent d'une dame qui serait veuve de son état mais qu'on n'a jamais vue. D'ailleurs, on n'a jamais vu un seul d'entre eux avec une femme, pas une seule fois ... Enfin, il y a autre chose : même s'ils ne sont pas aussi parfumés que certains messieurs qui ont "bifurqué", ils s'embrassent tout autant et même davantage ! Bizarre, vraiment bizarre ...
Les soupçons de l'Auvergnat se précisent : il se demande si, par hasard, ces clients ne seraient pas une assemblée assez spéciale ? Car les détails scabreux ne manquent pas : ainsi, dans la bande se trouve un barbu qui semble travailler dans une tuilerie. Eh bien, le mois dernier il se lamentait d'avoir oublié son sautoir et ses bijoux à la maison ! - Est-ce que les Auvergnats barbus portent des sautoirs et des bijoux, on vous le demande ! - Et puis ... et puis, il y a parmi eux plusieurs vieux messieurs qui s'intéressent surtout aux jeunes du groupe : les apprentis, qu'ils les appellent. Et il y a encore ceux qui parlent à voix basse d'un lac d'amour, ou de leurs attributs, ou même de leurs attouchements ...
Oui, oui, parole d'Auvergnat ! Prêtez l'oreille si vous ne le croyez pas !
Leurs professions ? Allez savoir ...
Certains doivent être menuisiers - ...... mais pas des meilleurs - car il et souvent question de planches trop longues ou trop courtes -. Il y a aussi un couvreur - qui doit poser les tuiles du barbu - un musicien qui s'occupe d'harmonie, un expert - expert en quoi ? mystère ... un secrétaire, ainsi que deux surveillants qui, disent-ils, travaillent sur un gros chantier. Les autres seraient sans emploi.
Ils ont même leurs immigrés : des vieux Ecossais, des anciens qu'ils ont accepté; ils ne portent pas le kilt mais, en bons Ecossais, ils semblent surtout préoccupés par des augmentations de salaire.
A dix-neuf heures, les ténébreux quittent le café à la queue-leu-leu et s'en vont vers leur mystérieuse réunion. Ils en reviennent à vingt-trois heures pour souper dans la salle du premier étage où ils s'enferment comme des conspirateurs.
Il y a parmi eux un commissaire-priseur qui tape comme un sourd à coups de maillet sur la table en ordonnant de "charger la poudre" ... Et de recommencer une nouvelle adjudication cinq minutes plus tard. Il s'agit sûrement de came, et ils doivent en négocier d'énormes quantités.
Pas croyable ...
C'est pour cela qu'ils se méfient, les bougres ! Au point qu'ils ne laissent jamais la femme de l'Auvergnat faire le service : "Laissez donc tout cela, Madame, laissez faire les jeunes !".
D'accord. Mais certains de leurs jeunes ont la bonne cinquantaine et pourtant ils leur répètent que : "quand on a trois ans, on doit servir ceux qui en ont sept ...". L'Auvergnat gratte le sommet de son crâne. Là, vraiment, il a beaucoup de mal à suivre : drôles de jeunes, qui auraient l'habitude étrange d'aller réfléchir dans les cabinets où ils utilisent du vitriol ! Oui, du Vitriol ! Pour quoi faire, grands dieux ?
C'est sûr, les ténébreux essayent de brouiller les pistes, mais à présent l'Auvergnat n'a plus de doute : ces "drôles de messieurs" sont aussi des trafiquants de drogue. Même qu'ils utilisent un code secret; par exemple, pour la "coke" ils parlent à voix basse d'un livre - le manuscrit Cooke, qu'ils disent - et quand il est question de "Hasch" sur une pyramide, ça doit être qu'il y a du joint égyptien dans l'air ... D'ailleurs, comme dans la Mafia, ils ont des parrains. Ils ont aussi leurs règlements de compte car ils parlent souvent d'Ecossais qui auraient été "rectifiés", les malheureux ...
Et leur fameuse poudre ? C'est du gros rouge peut-être ?
Et leurs voyages ? Ce serait pas pour aller s'approvisionner, par hasard ? Ou alors il s'agit peut-être du voyage du L.S.D. ?
L'Auvergnat et sa femme se rongent les sangs : "que fait donc la police ? Oui, mais ... ce sont tout de même de bons clients, généreux et bien élevés ... Après tout, dans le commerce il faut savoir fermer les yeux".
Et c'est pourquoi l'Auvergnat continue à servir en silence ses clients vêtus de sombre, dont la ponctualité lui semble dictée par quelque calendrier secret, inconnu du commun des mortels en général et des patrons de café-restaurant en particulier !
Moralité
Nous avons sur l'Auvergnat un net avantage, nous savons qu'il se trompe !
Et comme l'a dit un philosophe de chez nous:
"Si tous ceux qui croient avoir raison n'avaient pas tort, la vanité ne serait pas loin". - Pierre Dac -
Malheureusement, nous sommes toujours l'Auvergnat de quelqu'un ou de quelque chose. Si bien qu'en définitive, la seule certitude que nous puissions avoir, c'est de savoir à quel point, hélas, nous sommes encore plus Auvergnat que nous ne le pensons ....