[48] Maison Bois en Lozère

J'ai déjà, par le passé, évoqué la nécessité d'accéder au foncier afin de devenir agriculteur.
Ce que je n'ai pas forcément développé, ce sont les rouages des mécanismes administratifs qui se cachent derrière.

Lorsque l'état, dans les années 60, a compris l'importance de protéger la production agricole Française, il a mis en place une structure nationale, qui après plusieurs regroupements historiques est devenue Terres d'Erope-SCAFR. Cette structure nationale, pour chaque département, transmet ses droits et privilèges à des structures privées, les SAFER.

Chaque SAFER bénéficie donc de tous les privilèges de la SCAFR (exemption fiscale, droit de préemption,...) sur son territoire de délégation : le département dont elle va régir les biens agricoles.

Je n'ai eu affaire qu'à deux SAFER, celle de la Lozère et celle de l'Ardéche. Mais leur comportement respectif est très homogène et autant vous dire qu'il ne va ni  dans le sens de la transparence ni dans celui de l'intérêt général. A ce sujet, je conseille le rapport de la cour des comptes de 2013.
Un seul point pour souligner cette dérive : Si la mission principale de la Safer est l'aide à l'installation de Jeunes Agriculteurs (JA), en 2012, seulement 2761 ha sur les 88000 (3%) ont servi cet objectif...

Mais revenons à mon cas précis. L'année 2018 m'aura permis de déposer 3 nouveaux dossiers de candidatures auprès de la Safer. Les 3 précédents ayant échoué. Je n'en attendais pas grand chose. 

Le premier dossier (73 Ha de genêts et de bois paturables) a été attribué à un gars qui est pourtant employé à temps plein par la chambre d'agriculture, avec 0 € d'apport... gasp   Le tout pour 3500€ de l'Ha, soit 245K€ de prêt sans compter ce qu'il va devoir emprunter pour l'achat du cheptel, d'un batiment, du tracteur, du matériel.... Bref, ça s'appelle foncer droit dans le mur, même avec la dotation JA (34K€ de cadeau, directement de nos impôts).

Le second dossier (16 Ha) trouvera une fin miraculeuse. L'agriculteur en place, incapable d'obtenir le financement par la banque, décide de faire jouer son droit à la priorité. Il ne s'oppose donc pas à la vente, mais argue qu'en tant que bailleur, il a toute latitude à continuer à louer les terres, même si celles-ci changent de propriétaire, et ce jusqu'à l'achèvement du bail. Dans ce cas si, le bail est verbal et a justement été renouvelé cet année !?! Juste avant que le propriétaire ne décède. Ce qui lui donne 9 années d'exploitation pour une coût annuel de moins de 650€. Le miracle intervient lorsque j'arrive à le convaincre de me laisser la location des 6.5Ha de bois paturés (le reste est majoritairement de la prairie fauchable). Mais surtout, qu'il finit par signer la promesse de résiliation de bail après 30 minutes de "Mais j'ai une idée !!...."

Le troisième (130 Ha en Ardèche) est encore plus miraculeux. C'est un éleveur de brebis qui part à la retraite. Il cède ses terrains (et ceux dont il était le bailleur), son bâtiment et son cheptel. Attendu que nous n'avions élargi que tardivement notre périmètre de recherches. Nous trouvons cette propriété alors qu'elle est déjà sur le marché depuis presque un an. Le lieu est au milieu de nulle part, dans le "Pot au Noir" ardéchois. 80Km de la maison, des petites routes fermées l'hiver, et tellement étroites qu'aucune semi ne peut les emprunter.
Mais le foncier est très sympa. Toutes les parcelles sont regroupées en un seul îlot. Il y a de l'eau. Et le futur retraité est super sympa.
Dès ma première visite, je me rends compte du potentiel (et des désagréments), et j'envoie une candidature immédiatement.
Mais le vendeur me prévient qu'une visite est prévue avec un couple de Varois depuis un certain temps.
Je reviens voir la propriété une seconde fois afin de vérifier l'état des clôtures, faire le tour (c'est grand) des parcelles. Imaginer un lieu où construire la future maison....
Au bout d'un mois la Varois finissent par venir. Le monsieur est titulaire d'un diplôme agricole, madame est enceinte du troisième enfant, pas un rond de financement. Ils restent deux petites heures, et confirment leur intérêt.
Je reviens une troisième fois afin de valider quelques doutes sur les parcelles du haut et obtenir l'emplacement des sources.

La Safer donne aux Varois jusqu'au 15 octobre pour trouver le financement.
A la date prévue, rien. La safer prolonge jusqu'au 1er novembre. 
A la date prévue, rien. La safer prolonge jusqu'au 15 novembre, date du comité technique qui doit décider quel candidat sera l'acheteur.
A la date prévue, rien. Mais la Safer attribue néanmoins le dossier aux Varois !!! Aarrgghhhhh... 
Les syndicats agricoles qui participent au comité sont farouchement opposés à l'idée qu'un mec s'installe et paye comptant le prix demandé, même si cela permet de rentabiliser son exploitation existante et d'installer son épouse. Leur idée est d'installer un couple de JAs qui pourront grâce à la dotation JA (c'est à dire nos impôts x 2), payer une partie du bien, et contracter un prêt sur 30 ans pour financer les 80% restants.
A la question, où allez vous habiter, nos Varois ont bravement annoncé qu'ils vivraient dans une caravane... A 1000m d'altitude, avec un bébé à venir et -15°C l'hiver.... Nos amis jeunes syndicalistes agricoles applaudissent :
- Quelle audace, quel esprit d'entreprise !
A la question, pouvez vous payez les 300€ de l'étude de rentabilité agricole mise en place par la chambre d'agriculture nécessaire au montage du dossier de financement, nos Varois répondent que non. Nos amis jeunes syndicalistes agricoles applaudissent :
- Ce n'est pas grave, la chambre d'agriculture (les gars payés par nos impôts) vont vous faire ça gratuitement ! Vous avez jusqu'au 15 novembre pour obtenir le financement.

A la date prévue, (enfin), la banque a rendu son verdict : Pas finançable. Mais qu'à cela ne tienne, on leur laisse quelques jours supplémentaires pour solliciter une seconde banque. Et le résultat tombe identique au premier.

On m'appelle enfin pour me féliciter de l'attribution de l'exploitation...

Je suppose que seul le résultat compte. Mais la forme est amère. Mais ce n'est pourtant que la triste réalité de la confrontation aux Safer. Et je vous fais grâce des lamentations des vendeurs, de l'impossibilité d'obtenir le PV du comité dont je dois pourtant recevoir une copie, des relances sans effet, de la difficulté de joindre la safer,....

Donc, en conclusion, si vous décider de vous lancer dans la grande aventure agricole, sachez que votre diplôme agricole ne vaudra pas un pet de lapin. Que votre financement sera, au mieux, vu comme une forme d'arrivisme. Que votre expérience avec les chevaux ne remplacera jamais celle du vrai élevage : Les bovins. Et qu'il vous faudra vous armer d'Enormément de patience.
Mais le mieux, c'est encore de bypasser la safer comme je le fis pour les terrains au bord du lac. Et en cette matière le Notaire est une mine d'informations (notamment l'achat de la nu-propriété assortie d'un bail temporaire de 9 ans pour l'usufruit).

Enfin, la prochaine fois que vous voyez un reportage à la télé sur nos amis agriculteurs, dites vous qu'on vous prend pour de gros cons, et que le montant des primes qu'ils touchent (nos impôts) afin de faire leur métier est visible ici : Aides PAC 2017